Bergère
Créé par Nanette le 05 jan 2008 | Dans : textes
Et toi, que fais-tu là-haut dans la montagne au milieu des brebis ? Jamais tu ne t’ennuies ?
Euh… à vrai dire, pas vraiment car… j’apprend, j’observe, je repère, je décide, je canalise, parfois j’angoisse, souvent je m’émerveille, toujours je veille, sur le qui-vive, je marche, voire même je cours, je commande, j’ordonne, j’anticipe, important ça d’anticiper, du moins… essayer !, j’improvise, m’adapte, je gère l’herbage, pose les interdit…
Mais alors… tu n’as jamais de répit ?
Siiii…. bien sûr que si… quand les brebis sont apaisées, qu’elles ont décidé de « se poser », qu’elles sont bien rassasiées ou quand le soleil les assomme… alors je tire du sac un bouquin et je lis tout haut pour entendre l’écho, ou alors je gribouille, je chantonne, je danse gros godiots aux pieds, j’écris, je réfléchis, je zieute aux jumelles, j’écoute…il y a un champs incroyable de possibilités dans le domaine de la création, pas seulement de la contemplation… parfois, je sens passer le temps, long et silencieux… mais je mesure à quel point c’est un luxe justement que de pouvoir sentir s’écouler le temps… et ne pas courir sans cesse derrière !
Mais l’exercice de la bergère non initiée que je suis a été, je dois bien le dire, empreint d’anxiété… il y a bien sûr les pieds ampoulés de tous les côtés, les jambes fatiguées, les lèvres éclatées, et souvent, le souffle coupé… mais surtout, le poids de la responsabilité, le manque de confiance dans ses capacités, le manque de savoir-faire bien sûr, et… la peur quand il pleut des pierres, le risque quand la pente est glissante, l’incompréhension chien-berger… ce qui vaut de la fatigue accumulée… c’est le début, il faut persévérer, et ici, tout pousse vers le haut… la vie y est tellement intense qu’elle nous rappelle sans cesse notre chance et le sens de nos choix : les becs jaunes des chocards et le brillant de leurs plumes quant ils frôlent les falaises jouant entre ombres et chauds courants, la venue des chamois aux alentours de la cabane attirés par le sel des brebis, un blanchot dérangé dans ses habitudes, les marmottes dressées sur leurs pattes de derrière, qui, vigilantes, sifflent et alarment la montagne, le givre piquant du matin, les chèvres qui, confiantes, répondent à notre appel, les patous, pataud, qui s’en vont penaud au premier «file au troupeau ! », un temps de rencontre avec quelques randonneurs en quête d’espace montagnard, des chasseurs aux aguets ou des bergers qui démontagnent et viennent souper au refuge, une douche en plein air fraîche et revigorante, un thermos remplit d’une eau chaude qui vient réchauffer le fond du gosier, les retrouvailles émouvantes des agneaux et de leur mère pour une tétée musclée, une soirée à déchiffrer les étoiles, une autre sous le son d’une guitare (merci Cyril !!), les mélèzes qui se parent de leurs couleurs automnales, la venue des amis, de la famille et les fou rires qui s’y mêlent, une lettre, le travail complice du chien de berger… tout est si fragile… ici, les éléments sont brutaux, toute douceur, même fugace, est appréciée à hauteur d’un cadeau… est-ce là une forme d’harmonie ?…
J’ai retrouvé la même intensité que dans le voyage… un savant équilibre entre solitude et partage de vie, entre difficulté et récompense… l’existence prend alors un relief, et une saveur inattendue !
J’ai beaucoup pensé à chacun d’entre vous… Xavier, Claire, Max, Eric, Leila, Florian, Marie, Bernadette, Davy, Julien, Cyril… j’attend avec une impatience non contenue de vos nouvelles !!!
Biz biz !
Sigrid